Cette semaine, au theatre de la ville j'ai pu voir deux pièces d'Angelin Preljocaj dont Empty Moves (part I). Il s'agit d'une pièce de 2004 très particulière. Tout d'abord à cause de la musique : Empty Words est le nom d'une performance de John Cage réalisé en Italie en 1974*. Sa performance était basé sur un un livre de poèsie qu'il avait réalisé en soumettant le texte de David Thoreau "Du devoir de désobéissance civique" à une série de coupe et de collage procédant du hasard. Cet texte lu donne une série de phonèmes avec parfois des bribes de phrases (enfin j'ai cru en entendre) qui a soulevé une révolte dans le public. Or l'enregistrement traduit cette révolte. On a le droit à des séries d'applaudissement entre deux phonèmes comme une tentative pour arreter la lecture, il y a des cris (assassino notamment) et des sifflements mais Cage continue sa lecture impassible.
Preljocaj a choisit de faire danser son quatuor sur cette performance pour (nous dit le feuillet distribué à l'entrée) "débarasser de toute scorie narrative, et même de toute thématique" cette danse.
Pour faire simple, je trouve que cette musique est loin d'obtenir le résultat souhaité, elle met les choses dans une perspective historique : celle de l'histoire de l'art et des performances provocantes. J'ai passé le spectacle à m'interroger et parfois au détriment du regard !
Pourquoi les Italiens n'ont pas quitté la salle (seul réel moyen pour affirmer son opinion) ?
Pourquoi poser la question de la valeur de l'avis du public :
- montrer que l'histoire dépasse cela ?
- ou démontrer que choquer est une bonne méthode pour marquer et donc rester ? Avignon 2005 sera-t-il un mythe dans 30 ans ?
Pourquoi intégrer ce refus ? Une mise en abîme de la condition du spectateur pour stériliser toute révolte ?
Et enfin pourquoi je me suis poser autant de question ? (Je vous passe les questions sur Empty Words ! Pourquoi Thoreau ?)
J'ai parfois eu l'impression que je n'étais pas le seul à m'interroger ainsi. J'ai pensé à la solitude d'une foule (d'ailleurs BiensCulturels dit :"On peut beaucoup réfléchir pendant cette pièce"). Le theatre de la ville n'étant pas un lieu underground, on peut se demander s'il s'agit d'une volonté d'éduquer un public qui cherche et se voit malgré tout comme avant-gardiste ?
Si je sors du champs de mes interrogations pour revenir au contenu, je dirais qu'il y avait des traces de narration. Notamment car 2 couples qui sont corps parlent forcément ....
Je suis en ce moment aussi plongé dans l'oeuvre de Bacon (cf ce premier post) et notamment l'analyse que Deleuze fait de son oeuvre dans "Francis Bacon Logique de la sensation", il y a une analyse fascinante sur le narratif et sur la difficulté d'en sortir. Bacon dit "j'ai voulu peindre le cri plutôt que l'horreur" et Deleuze de préciser "Dès qu'il y a horreur, une histoire se réintroduit, on a raté le cri. Et finalement, le maximum de violence sera dans les figures assisees ou accroupies, qui ne subissent aucune torture ou brutalité, auxquelles rien de visible n'arrive, et qui effectuent d'autant mieux la puissance de la peinture".
Alors pour en finir avec la danse des questions : La danse ne serait-elle pas par essence un art qui permet l'abstration ? C'est entre autre une des raisons pour lesquelles que je suis devenu un fanatique.
En montrant l'abstraction, je trouve que Preljocaj s'en éloigne, il montre l'horreur et rate le cri ! Ce qui bien sur n'enlève rien à la qualité de sa chorégraphie.
La confrontation avec Noces aurait peut etre suffit :
"En 1989, Angelin Preljocaj avait échappé au classique en asséchant son
mouvement pour le porter à son paroxysme. Aujourd'hui, il lui donne du
mou et peut enfin affirmer sa foi increvable dans le geste, la beauté
pure de l'abstraction et son sens absolu." Le Monde
Y-t-il du hasard quand on prépare une chorégraphie réalisée par d'autres ?
"C'est drôle. Et percutant. Car il s'agit de dire, pour le compositeur
comme pour le chorégraphe, que la musique et, plus encore, la danse
peuvent sortir de leurs nombreux carcans : narratif, émotionnel,
psychologique, etc. Le hasard a toujours servi l'abstraction, et Cage
en a usé avec beaucoup de doigté. Preljocaj l'a compris qui, ici,
s'éloigne de ses grandes fresques narratives." Libération
Kimiko a réalisé une note sur Noces que vous trouverez sur ici
* Tous le monde semble utiliser 1977 du Figaro à Biens Culturels, le feuillet du Theatre parle de 1974 et wikipédia 1979 ! Si quelqu'un a la bonne date, je suis preneur.
Update : le site johncage.info donne 74. Donc je vais garder cette date pour la base.
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